Reproduction du texte inédit :
Être sensible aux phénomènes lumineux, surtout naturels : foudre, nuages, feux, mer étincelante, ciel, volcans, … Être bien moins sensible aux jeux lumineux des films même abstraits, aux décors de théâtre, d’opéra.
Préférer les spectacles naturels hors de l’homme. Préférer le vertige que crée l’abysse du ciel étoilé lorsqu’on y plonge notre tête en oubliant la terre où reposent nos pieds. Ou bien le surréalisme de rêves où deux lunes extralucides montent simultanément dans le ciel noir. En fait, tout ce qui dans la lumière est proche de la musique par ses côtés les plus abstraits : formes, mouvements, intensités, couleurs, étendues, … Les imaginer, les combiner, les entrechoquer, les faire évoluer comme les paysages lumineux des galaxies et des gaz interstellaires éclairés par des jeunes soleils bleus, ou alors en mouvements gigantesques soufflés par des explosions de supernovae. De la musique lumineuse pour les yeux, symétrique à la musique sonore pour les oreilles.
L’homme peut aujourd’hui accéder à des évènements faits de lumière réelle comme jamais auparavant avec, pour l’instant, des lasers, des flashs électroniques, des projecteurs et l’informatique (microélectronique, ordinateurs). Du coup, on comprend qu’un art nouveau de la lumière qui ne soit ni peinture, ni fresque, ni théâtre, ni ballet, ni opéra, est là sur le pas de notre porte. Un art par définition hors de l’homme, même si comme dans le cas des Polytopes de Persépolis ou de Mycènes, des enfants ou des chèvres porteurs de torches électriques dessinent dans les champs ou sur la montagne des tracés lumineux qui se confondent la nuit avec les constellations célestes. Un art comme la musique, en soi, sans référence anthropomorphique ou réaliste. C’est cela le sens des aventures polytopiennes (des Polytopes de Montréal (1967), de Persépolis (1971), de Cluny (1972), de Mycènes (1978), du Diatope du Centre Georges Pompidou (1978)). C’est cela la quête d’une expression pan-musciale.
Mais aussi, les leçons de ces expériences montrent à quel point, pour les constructions, structurations et architectures des projets lumineux, il était naturel et efficace d’utiliser les mêmes procédures que celles des architectures sonores.
Finalement, une sorte de fluide esthétique, rationnel et intuitif de l’imagination semble circuler entre lumière, son, technologie, théorie, presque sans rupture de continuité.
Iannis Xenakis