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Polytopes

Polytope Mondial

1974

Reproduction du texte inédit :

POLYTOPE MONDIAL (réseau intercontinental d’actions de lumière et de son)

Il est temps aujourd’hui de lancer des ponts artistiques par dessus les océans entre les continents, entre les pays.

Adhérer à des pactes militaires ou à des conventions commerciales ne concerne pas directement les peuples qui sont entraînés par des déterminismes souvent monstrueux.

Par contre, créer des filaments artistiques reliant les populations de tous les pays, c’est établir un nouveau contact direct, par dessus les langues, les intérêts, les civilisations, les races, les cultures locales.

Cela est maintenant possible à condition que la forme de cet art produise l’étincelle du contact immédiat.

Or, cet art existe, il a déja été expérimenté par des Polytopes à l’Exposition de Montréal, à Paris, où des dizaines de milliers de gens de tous les âges sont allés s’y plonger. Il est une expression de la partie enfantine de l’adulte, de ce qui lui reste de sa pureté créatrice profonde, l’émerveillement devant les jeux de lumières, devant une musique de lumières.

Cet art peut, grâce à la technologie de pointe des flashes électroniques, des lasers puissants, de la poursuite des satellites, des ordinateurs, ainsi que grâce aux méthodes de composition lumineuse et sonore les plus avancées (que nous avons pu mettre au point après plus de 20 années de recherches et de manifestations), cet art, peut être réalisé à l’échelle planétaire de la façon suivante.

Dans les villes qui le voudront (ou en dehors de ces villes, des USA, URSS, France, Allemagne, Angleterre, Japon, … seront installés des Polytopes (=ensemble d’actions et de sons électroacoustiques). Ces actions seront commandées par de petits ordinateurs ou par bandes digitales issues d’ordinateurs suivant des programmes spécialement conçus. Ces spectacles, installés en plein air, sur des places publiques, ou dans des abris publics, formeront des centres récepteurs.

Ils seront reliés par dessus les océans et intercontinentalement à des centres émetteurs, installés dans d’autres pays, à l’aide d’un réseau de rayons lasers visibles (ou invisibles), se réfléchissant, pour franchir les distances colossales, sur des satellites mobiles ou géostatiques. Les centres émetteurs auront pour fonction de modifier le spectacle des centres récepteurs suivant une planification d’un ordre supérieur. Par exemple, une sorte de jeu artistique mondial complexe, à l’aide des lumières et des sons précédents, pourrait être régi par des règles de jeu établis soit à l’aide de la théorie mathématique des jeux, soit indépendamment. Ce jeu, suivi ou joué par des millions de spectateurs sera en même temps un dialogue et un spectacle interréactifs, de communion créatrice et immédiate entre les peuples.

Ainsi, grâce à un tel projet, des aspects de la recherche scientifique la plus avancée, mariés à des aspects artistiques les plus prophétiques, mais tout en restant dans une abstraction puissante s’apparentant aux phénomènes cosmiques (donc d’un effet immédiat sur l’imagination de l’homme ou de l’enfant les plus humbles, de n’importe quelle race, ou de n’importe quel credo), seront là pour lancer un réseau fantastique de l’art pacificateur et optimiste à l’échelle de la planèté.

Jamais jusqu’ici une telle chose n’a été possible. Aujourd’hui, cela est à notre portée.

Iannis Xenakis, Paris, Mars 1974.